ISSN 1840 - 8184 Justice, Vérité, Miséricorde HEBDOMADAIRE CATHOLIQUE NUMÉRO 1797 du 31 janvier 2025 N° 1221/MISP / DC / SG / DGAI / SCC
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Justice, Vérité, Miséricorde Journal 1797 du 31 janvier 2025

EXIT L’AES DE LA CEDEAO

Le vin est tiré

Depuis le mercredi 29 janvier, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ne font plus partie de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Les trois militaires au pouvoir dans ces pays ont mis à exécution leur décision commune prise il y a un an. Un saut dans l’inconnu à plusieurs variables pouvant porter bonheur ou malheur.

Alain SESSOU

C’est fait ! L’Alliance des Etats du Sahel (Aés) est née. Ainsi en ont décidé le Général Abdourahmane Tiani du Niger, le Général Assimi Goïta du Mali et le Capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso. Les trois présidents de transition ont formalisé la création de leur Alliance avec tous les documents statutaires donnant officiellement vie à l’Organisation. Et son lancement ce mercredi est l’acte qui consacre la sortie définitive de leurs pays de la Cédéao à qui les trois militaires adressent de nombreux griefs. Ils accusent surtout l’Organisation sous-régionale d’être un instrument à la solde de l’impérialisme notamment français, pour déstabiliser leurs pays. Ils pointent du doigt la France comme soutien des groupes terroristes qui opèrent au Niger, au Mali et au Burkina Faso. Et ce n’est pas tout. La France est accusée de piller les ressources minières dont regorgent les trois pays sahéliens. La gouvernance de la Cédéao est également dénoncée avec force par les trois pays. Autant de reproches dont la finalité a été cette sortie fracassante du Mali, du Burkina Faso et du Niger de l’Organisation sous-régionale. And now, what next ? , comme disent les anglophones. Avalanche de reproches En vérité à cette étape, il faut arrêter les jérémiades et regarder en face l’avenir avec la forme de collaboration qu’il faut désormais que les autres pays de la Cédéao et même de l’Afrique, de façon générale, devraient avoir avec l’Aés. Ceci pour plusieurs raisons. La première, en faisant leur choix, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont affirmé leur volonté de se prendre en charge dans leur creuset au plan sécuritaire, économique, politique et social. Ce qui est louable pour tout pays ou groupe de pays qui tient à être souverain. Et pour cela, l’Aés a tenu à mettre la pédale forte : mise en circulation dès ce mercredi 29 janvier, du passeport pour les trois pays ; l’annonce pour très bientôt de l’opérationnalisation de la Force unie de 5.000 militaires pour lutter plus efficacement contre le terrorisme dans les trois pays. Rien de plus intéressant qu’un projet aussi ambitieux pour des pays qui voient en la Cédéao une Institution incapable et vassalisée par la France principalement. D’où la deuxième raison. Minée par des querelles intestines, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest affiche un résultat mitigé. Même si certains experts soulignent qu’en Afrique, la Cédéao est l’une des Instituions sous-régionales qui avance. De ce point de vue, la libre circulation des personnes et des biens serait l’un des grands points positifs de la Cédéao. En effet, en vertu des règles d’origine (un produit fabriqué dans tout pays de la Cédéao avec plus de 60% des matières premières du pays) est exempt des frais de douane. Sur un tel produit, seule la Tva est perçue. Un mécanisme fonctionnel au sein de l’espace Cédéao selon un expert de l’Organisation mondiale du commerce (Omc), qui estime que c’est l’un des points forts de l’Institution. On peut aussi ajouter l’existence de la Banque de la Cédéao (Ecowas Bank for Investment Development, Ebid), qui finance des projets régionaux dans l’espace économique sous-régional. Toutefois, l’arrête dans la gorge de la Cédéao depuis sa création le 28 mai 1975 se retrouve au plan politique. Ainsi, les principes démocratiques qui devraient être le ciment permettant à l’Organisation d’atteindre ses objectifs a du plomb dans l’aile. Pour dire vrai, à sa création, la Cédéao n’était pas supposée résoudre les problèmes politiques dans chaque Etat membre. Mais avec le temps, il s’est avéré nécessaire, utile et même indispensable de prendre en compte la dimension politique. Le respect des principes démocratiques comme gros challenge Pendant que certains pays font des efforts pour organiser des élections libres, démocratiques et transparentes sur fond d’alternance, d’autres travaillent à instituer le pouvoir clanique à vie. Et ceci en toute impunité. Car les règles établies à cet effet sont foulées aux pieds par des Chefs d’Etat. Exemple, le Protocole additionnel de la Cédéao interdit la révision de la Constitution à moins de six mois des élections. Mais hélas ! Dans la plupart des pays de l’Organisation sous-régionale où toutes les Institutions (l’Assemblée nationale, la Cour constitutionnelle…) sont contrôlées par le pouvoir en place, les tripatouillages de la loi fondamentale se font allègrement. Dans ces conditions, bien des pays de l’espace Cédéao commencent par être attentistes vis-à-vis de l’Aés, ce qui conduit à la troisième raison. Ainsi le Ghana et le Togo ont publiquement manifesté leur intérêt à travailler avec les pays de l’Aés. Le Ghana n’a pas attendu le 29 janvier pour nommer un envoyé spécial auprès des trois pays. Le Togo était déjà en avance et peut-être que d’autres pays suivront. A y voir de près, avec 2.781.122 km2, et leurs immenses richesses minières, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont de quoi relever le défi qu’ils se sont lancé. Avec ces atouts, la collaboration entre l’Aés et les pays de la Cédéao est un impératif. Du coup, les dirigeants des deux espaces doivent désormais inventer un nouveau paradigme sur des bases claires qui arrangent l’un et l’autre. La période de transition qui transparaît dans un communiqué de la Cédéao pourrait permettre de poser les bonnes bases de la collaboration. Le plus dur, on ne le dira jamais assez est au plan politique : le renforcement de la démocratie. A ce niveau, il y a bien lieu d’avoir des inquiétudes avec l’Aés où les trois militaires ne font pas de leur priorité des élections libres démocratiques et transparentes. Dans ces conditions, il faut craindre que l’Aés soit une sorte de Cédéao bis avec un handicap congénital : fouler aux pieds les règles établies et s’accrocher au pouvoir et finir par verser dans l’autocratie.