ISSN 1840 - 8184 Justice, Vérité, Miséricorde HEBDOMADAIRE CATHOLIQUE NUMÉRO 1795 du 17 janvier 2025 N° 1221/MISP / DC / SG / DGAI / SCC
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Justice, Vérité, Miséricorde Journal 1795 du 17 janvier 2025

ENTRE CRISE ET RESILIENCE

Le mandat de Macron à l'épreuve de la motion de censure

À la suite des résultats issus des élections européennes, le président français Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale et l'organisation d’élections législatives. La tension politique reste cependant vive dans l'Hexagone, malgré la nomination de François Bayrou comme Premier ministre. L’option référendaire est désormais d’actualité. Le présent article analyse les possibilités pour le président français de maintenir l’équilibre dans la gouvernance politique.

Mohamed Tairou SAHIDI, Doctorant en droit privé

C'est notre honneur de parlementaires qui est en cause ... Allez dire à l'Élysée que cette Assemblée n';est pas assez dégénérée pour renier la République. » Ces mots prononcés par Paul Reynaud le 2 octobre 1962, à l’Assemblée nationale, dans le cadre de la motion de censure contre le Gouvernement de Georges Pompidou, présageaient déjà de l’issue inéluctable d’une confrontation politique au sommet. Finalement, au matin du 5 octobre 1962, 280 députés adoptent la motion de censure et renversent le Gouvernement de Pompidou, une décision qui marquera un tournant dans la gestion des rapports entre le Gouvernement et le Parlement sous la Ve République. Depuis lors, les Gouvernements successifs n’ont pas eu à affronter une telle motion de censure avec la même intensité, bien que la question de la confiance parlementaire reste un enjeu constant dans le jeu politique français. Mais l’histoire semble se répéter. Les conditions sont réunies aujourd’hui pour que la situation politique actuelle donne lieu à une réédition de ce type de confrontation. Le président français, en décidant de dissoudre le Parlement le 9 juin 2024, a ouvert une nouvelle phase de la vie politique française. Cette dissolution a reconfiguré le paysage parlementaire. Ce contexte de forte polarisation politique, couplé à des enjeux idéologiques et stratégiques de plus en plus marqués, soulève une question: la chute du Gouvernement Barnier, soutenu par une coalition fragile, conduira-t-elle à une instabilité permanente ? Si l’extrême droite, qui au départ avait donné son soutien pour permettre à Michel Barnier d’accéder à Matignon, lui a encore retiré sa confiance, cela signale sans doute le début d’une crise politique majeure, susceptible de déstabiliser l’ensemble du pouvoir exécutif. Les turbulences d’un mandat fragilisé L’Assemblée nationale française, traversée par des forces politiques opposées au Gouvernement, devient un terrain de confrontations où les extrêmes, à gauche comme à droite, cherchent à déstabiliser le pouvoir en place. L’extrême gauche, plus particulièrement représentée par La France Insoumise, se positionne comme l’une des forces principales dans la bataille contre le Gouvernement d’Emmanuel Macron. Depuis plusieurs mois, ses représentants ont régulièrement remis en cause les réformes initiées, notamment sur le terrain social, et ont appelé à un durcissement de la politique gouvernementale. Leur objectif est clair : la chute du régime Macron et l’instauration d’une politique radicalement différente, marquée par des mesures en faveur des travailleurs et contre l’austérité. La motion de censure déposée contre le Gouvernement Barnier est un signe évident de la volonté de l’extrême gauche de ne pas laisser ce Gouvernement poursuivre son action. Elle a trouvé une coalition de forces opposées, tant à gauche qu’au sein du centre, pour mettre en difficulté l’Exécutif. Dans ce contexte, la chute du Gouvernement Barnier n’est plus seulement une question de politique interne, mais un indicateur des difficultés structurelles auxquelles Emmanuel Macron devra faire face pour parvenir effectivement à la fin de son mandat. Cette dynamique politique laisse entrevoir un avenir particulièrement chaotique pour Macron. L’extrême gauche, en s’opposant frontalement à son Gouvernement, pourrait bien être un obstacle majeur à toute forme de gouvernance stable. En effet, si les partis de gauche s’allient pour faire tomber le Gouvernement, cette mouvance pourrait multiplier les motions de censure, bloquant ainsi toute réforme gouvernementale et paralysant l’action publique. La chute du Gouvernement Barnier reflète la fragilité du pouvoir exécutif, particulièrement exposé à des remises en question permanentes de ses réformes. Une extrême droite incontournable L’histoire politique récente de la France met en lumière le rôle singulier de l’extrême droite, incarnée par le Rassemblement national (Rn) de Marine Le Pen, dans la stabilité et l’instabilité des Gouvernements. La nomination de Michel Barnier comme Premier ministre résultait d’un compromis dans un paysage politique fragmenté. Le Rn, en apportant un soutien, a facilité cette nomination, y voyant une opportunité de faire avancer certaines de ses priorités, notamment sur la souveraineté et l’immigration. Ce soutien initial traduisait une stratégie de normalisation visant à faire du Rn une force politique pragmatique, capable de coopérer pour maintenir une stabilité apparente. Marine Le Pen espérait ainsi obtenir des concessions sur des dossiers clés, tout en renforçant l’image de son parti comme acteur incontournable du débat national. Le soutien du Rn au Gouvernement Barnier a pris fin sur la question cruciale du budget. Marine Le Pen a critiqué des orientations budgétaires jugées insuffisantes pour répondre aux attentes de son électorat, notamment en matière de pouvoir d’achat et de fiscalité. Face à ces désaccords, le Rn a décidé de voter en faveur de la motion de censure, provoquant ainsi la chute du Gouvernement. Ce retournement souligne le rôle paradoxal de l’extrême droite: après avoir permis à Barnier d’accéder à Matignon, elle a orchestré sa chute lorsque ses attentes n’ont pas été satisfaites. En agissant ainsi, le Rn a démontré qu’il pouvait basculer entre soutien et opposition pour maximiser son influence. Après la chute de Barnier, Marine Le Pen a déclaré que le soutien du Rn au Premier ministre François Bayrou dépendrait de la prise en compte de ses priorités. Cette déclaration place le Rn en position de meneur, capable de déterminer la stabilité des Gouvernements à venir. Ce rôle d’arbitre confère un pouvoir considérable à l’extrême droite, mais expose également la fragilité du mandat de Macron. Le Rn incarne une nouvelle forme d’opposition, stratégique et influente. En se présentant à la fois comme un garant de stabilité conditionnelle et un acteur d’instabilité calculée, l’extrême droite redéfinit les rapports de force politiques. Ce double jeu, entre coopération et confrontation, place Marine Le Pen en position centrale pour modeler l’issue du mandat de Macron, rendant son achèvement incertain mais dépendant des alliances politiques à court terme. Une affirmation de poursuite teintée de crainte Face à ces turbulences politiques et sociales, le président Emmanuel Macron semble déterminé à poursuivre son mandat. Cependant, cette volonté de poursuivre son programme présidentiel est freinée par une certaine crainte face à l’ampleur des défis politiques qui se dressent devant lui. Si la question de la réforme de la retraite, de la fiscalité ou de l’Europe est encore sur la table, les conditions pour les mener à terme sont de plus en plus difficiles. La crainte réside dans le fait que, bien qu’il puisse toujours avoir des soutiens dans certaines franges du Parlement, cette opposition qu’incarne « La France Insoumise » et le Rassemblement national qui commence un jeu avec lui, pourrait perturber la mise en œuvre de ses projets. Le climat politique tendu, marqué par des tensions entre les différentes forces en présence, pourrait compromettre la stabilité gouvernementale et rendre le chemin vers la fin de son mandat de plus en plus incertain. Ce qui semblait faisable en 2017, avec un large mandat et une majorité parlementaire relativement stable, devient aujourd’hui un défi quotidien, où chaque avancée législative ou politique est un petit pas gagné de haute lutte. La crainte d’un blocage institutionnel, d’une radicalisation des manifestations ou même d’une résurgence de la violence politique pourrait hanter le Gouvernement tout au long de cette traversée difficile. Malgré cela, Macron continue de se projeter vers la fin de son mandat, avec la ferme intention de mener à bien ses réformes, mais toujours sous le spectre de cette opposition de plus en plus forte. Son affirmation de continuer à gouverner semble ainsi un pari risqué, marqué par la nécessité de jongler entre des compromis politiques, des concessions et un maintien de l’autorité présidentielle. Une fin ardue Malgré la complexité du contexte politique actuel, il est important de souligner que la fin du mandat d’Emmanuel Macron n’est pas nécessairement synonyme d’impossibilité. Même si le chemin vers la fin du mandat est semé d’embûches, avec des oppositions renforcées de la gauche radicale et de l’extrême droite, il est possible pour le président de naviguer à travers ces turbulences et de sortir indemne de cette traversée périlleuse. L’enjeu réside dans sa capacité à ajuster sa stratégie, à dialoguer avec l’opposition surtout avec le Rassemblement national et à s’adapter aux nouvelles réalités politiques. Certes, la fin du mandat pourrait se révéler ardue, mais elle est toujours possible si Emmanuel Macron réussit à maintenir un équilibre subtil entre ses réformes, sa communication et ses alliances politiques. Cela implique un travail de compromis et une gouvernance capable de répondre aux aspirations des Français. De plus, il lui reste constitutionnellement un peu moins de trois ans. Lui-même lors de son adresse au peuple a martelé : « Le mandat que vous m’avez démocratiquement confié est un mandat de cinq ans et je l’exercerai pleinement jusqu’à son terme ».